Porte centrale de l'Ucad |
Une fois le baccalauréat en poche, la
plupart des étudiants orientée à l’Ucad, est confrontée à un casse-tête :
le logement. Au fil des années, le surpeuplement du campus a fini d’atteindre
un seuil critique. Reportage.
Construite en 1957, l’Université Cheikh
Anta Diop de Dakar étouffe. Aujourd’hui, elle accueille près de 80 000
étudiants. « Il n’y a que 2560 lits au
grand campus », informe Arona Faye, l’adjoint du chef du service de
l’hébergement de l’Ucad. L’augmentation exponentielle des effectifs en quelques
décennies et le déficit de pavillons font que trouver une chambre à la
citadelle du savoir, relève du miracle. Pour être locataire, l’étudiant doit
procéder à une codification dont le principal critère est le mérite. Une fois
les listes définitives des admis de la dernière session de l’année
universitaire établies, les différentes facultés les envoient aux autorités du
Centre des Œuvres Universitaires de Dakar (Coud). C’est en ce moment,
qu’entrent en jeu, les amicales qui représentent les étudiants. Celles-ci
doivent procéder à l’attribution des lits en respectant scrupuleusement l’ordre
de mérite.
Pour chaque
Faculté, il y a un quota réparti entre les différents départements qui la
composent. « C’est pour plus de
transparence que le Coud fait les codifications en collaboration avec les
représentants des amicales », assure M. Faye. Malgré cela, il n’est pas
rare d’entendre des étudiants dire que les lits sont vendus par les agents du
Coud et les délégués. « Les amicales
sont comme des partis politiques et ceux qui y adhèrent ont certains avantages »,
dénonce Ameth Diamanka, étudiant en Master 1 au département de Physique. Les
autorités universitaires quant à elles, battent en brèche ces déclarations qui,
selon elles sont erronées. « Pour ce
qui est de la vente de lits, ce sont les étudiants attributaires qui n’en ont
pas besoin, qui les vendent ou les louent à l’insu de l’amicale et de
l’administration du Coud », rétorque M. Faye. C’est le cas de la chambre 54
J occupée par dix personnes. Étant tous issus de Pout Diack, un village de la
région de Thiès, c’est l’association des
élèves et étudiants de ladite localité, qui a loué la chambre moyennant 3000
Francs par lit. « Tous les deux mois,
ceux qui ont codifié les lits, viennent récupérer leurs dûs », révèle
Assane Seck, étudiant en licence 1 au département de Physique-Chimie. Le peu d’étudiants
qui arrive à codifier une chambre, est souvent obligé, par solidarité,
d’héberger d’autres camarades. Les chambres initialement prévues pour deux
personnes, peuvent en accueillir une dizaine.
Pavillon A, refuge des « sans-abris »
Comme à
l’accoutumée, le campus grouille de monde à quelques jours des vacances de
Pacques. Devant la façade de cet imposant bâtiment à trois étages, de couleur
blanche avec des fenêtres bleues, des hommes sont assis sur des chaises. Dans
le hall, les va- et-vient des pensionnaires sont incessants. Un jeune homme se
fait raser dans un couloir du premier étage. Au loin, un étudiant muni d’un seau,
fait le linge dans les toilettes. A quelques mètres de là, cinq personnes vêtues
de boubous, chantent en chœur des « Khassaïdes » (chants religieux mourides)
qui résonnent jusqu’au rez-de-chaussée. Ici, tous les moyens sont bons pour
sécher les habits. Si certains suspendent leurs linges sur les fenêtres,
d’autres optent pour le gazon du jardin se trouvant au milieu du pavillon. Du
balcon du premier niveau, la panoplie des couleurs offre un spectacle visuel
kaléidoscopique. Premier logement à l’Ucad, ce pavillon à l’architecture
coloniale, accueille aujourd’hui des milliers d’étudiants. Doudou Fall, en
licence 3, au département d’Anglais est l’un d’entre eux. Âgé de 24 ans, ce
Saint-Louisien de taille courte, réside dans la chambre 165 du couloir H où des
matelas sont posés à même le sol. Assis sur un des deux lits de sa minuscule
chambre, il déplore les difficiles conditions auxquelles ses camarades et lui
sont confrontés. « Au total, nous
sommes six mais d’autres camarades y déposent leurs bagages et viennent la nuit
pour dormir sur le couloir », fustige-t-il. En effet, la nuit, les
couloirs du plus ancien des pavillons, sont transformés en dortoir par les
étudiants non hébergés par le Coud. Vers 22 heures, les matelas s’étalent à
perte de vue. On se croirait dans un camping.
Au 190 I,
Badara Guèye et Massar Djité, deux étudiants dont les mères sont des sœurs, sont
en activité. Par terre, il y a une valise noire et des paires de chaussures. Des
habits ainsi que des serviettes sont suspendus sur les portes délabrées de
l’armoire. Badara est étudiant en licence 3 de Sciences de la Vie et de la
Terre (SVT). De teint noir, vêtu d’une chemise et d’un jean noirs, il est couché
sur son lit, les yeux rivés sur son ordinateur. « Au total, nous sommes huit mais deux d’entre nous ne sont pas encore
venus. La chambre n’est qu’un dortoir pour nous. Pour réviser, nous allons dans
les amphithéâtres », dit-il. La naïveté est fatale au campus et Massar
l’a appris à ses dépens. La fenêtre de la chambre n’étant pas sécurisée, on lui
a volé son ordinateur posé sur le lit. « Ici, il y a un manque criant de sécurité. Des vigiles doivent
normalement surveiller chaque bâtiment », préconise M. Djité.
« Aline Sitoé Diatta »
submergée
La plupart
des filles est logée à la cité Aline Sitoé Diatta ex Claudel située à un jet de
pierre du grand campus. Plusieurs hommes
sont postés près du portail. Pour pénétrer dans l’enceinte, il faut
obligatoirement présenter une pièce d’identité ou une carte d’étudiant valable.
La cité des jeunes filles ne désemplit pas en ce jour ouvrable. A l’instar des
garçons, elles vivent dans une promiscuité sidérante. « Nous n’avons que quatre résidences (B1, B3, B4 et F), qui ont une
capacité de 1037 lits », informe Ndèye Astou Sarr Thiam, superviseur
administratif et financier de la cité.
Au 30 I,
Ndèye Astou Dièye fait la sieste. Originaire de Guédiawaye, cette nouvelle
bachelière a été orientée à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
(FSJP). Le matelas étalé par terre sur lequel, elle est allongée, rend
difficile l’accès à la chambre très étroite. Sur le seul lit de la pièce, une autre
fille est dans les bras de Morphée. « Nous
sommes au nombre de quatre et nous avons des difficultés d’adaptation. Étant
donné que n’avons pas assez d’espace, nous révisons à la bibliothèque ou aux
salles de travaux dirigés », lâche-t-elle. Étudiante en licence 2 au
département de Philosophie, Mame Diarra Lelo, loge au 5 A au même titre que
sept autres filles. « Vu que nous ne
sommes jamais ici en même temps, il n’y a pratiquement pas de problèmes. Malgré
ce nombre pléthorique, nous vivons en parfaite harmonie », se réjouit
cette jeune femme au teint noir, de petite taille, originaire de Thiadiaye.
Selon Mme
Thiam, les étudiantes sont responsables du surpeuplement de la cité portant le
nom de la dame de Kabrousse. « Nous
avons effectivement un déficit de lits. L’administration a certes une part de
responsabilité quant aux effectifs des chambres, mais ce sont les filles
elles-mêmes, du fait de l’hébergement, qui sont responsables de cette situation »,
a-t-elle martelé. Elle assure que les codifications se déroulent normalement.
« C’est tout à fait transparent car
elles sont faites sous la supervision des délégués des différentes Facultés »,
renseigne-t-elle. A la salle de télévision, une trentaine de canapés en bois
pouvant accueillir chacun 4 à 5 personnes sont bien rangés. Assises sur
ceux-ci, les étudiantes ont entre les mains des documents. C’est le jour de la
“codification” de la Faculté des sciences. Sous la supervision d’Abdoulaye Niang,
le délégué, trois agents de la cité Aline Sitoé Diatta dont une femme,
procèdent aux opérations. « Les lits
sont attribués suivant l’ordre de mérite », lance Diogoye Ndour, le
surveillant général de la cité. Et pourtant Fatoumata Niass, étudiante en
licence 1 de biologie, s’est vu attribuer un lit dans une chambre qui en compte
trois. Avec ses excellents résultats, cette Kaolackoise vêtue d’une robe rose
assortie au foulard, devait être attributaire dans une chambre à deux lits. Or,
du fait de la forte demande, plus il y a de lits, plus il y a de filles dans la
pièce. Elle s’en est finalement remise à Mme Thiam pour que cette injustice
manifeste soit corrigée.
Pour
résorber le déficit consécutif à la démolition de plusieurs pavillons vétustes, il y a
de cela un an, l’État du Sénégal a entrepris la construction de nouveaux
bâtiments. Sur le site du stade de l’université, trois constructions sortent de
terre. Séparées, du terrain de football par des barbelés, elles vont contenir à
terme 1044 lits. Ces nouvelles infrastructures ne vont certainement pas
permettre de résoudre définitivement la lancinante question du logement à
l’Ucad. En attendant, les étudiants devront prendre leur mal en patience.
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