vendredi 27 février 2015

Une connivence qui ne dit pas son nom



Renaud Lambert, journaliste au Monde diplomatique
L’adaptation télévisée du livre de Serge Halimi « Les nouveaux chiens de garde »,  a été visionnée le mercredi 7 janvier dernier par les étudiants du Centre d’Études des Sciences et Techniques de l’Information (Cesti) dans le cadre des traditionnels carrefours d’actualité. Cette activité a vu la présence de Renaud Lambert, journaliste au Monde diplomatique.

Les médias, ensemble des moyens de diffusion des informations au public, occupent, au fil des années, une place prépondérante au sein des sociétés dites modernes. L’importance de ceux-ci a fait dire à l’ancien président américain Abraham Lincoln qu’une presse sans pouvoir vaut mieux qu’un pouvoir sans presse. Cependant, vu le pouvoir illimité qu’on attribue aux médias, les politiques de même que les grands industriels, ont senti la nécessité de maîtriser ce moyen de communication pour asseoir leur domination. Cette entreprise d’une frange de la population déteint sur le journaliste qui, du coup, perd son indépendance, son objectivité. La presse est devenue l’apanage des hommes d’affaires à la tête de grands groupes industriels du fait de l’énorme coût de création d’une entreprise de presse. Ces patrons d’entreprises, qui ne font que défendre leurs propres intérêts, orientent les informations à leur convenance. Ce fut le cas lors de l’arrêt des constructions dans une centrale nucléaire en France. Le marché ayant été gagné par le groupe Bouygues en 2008, la TF1, appartenant à ce groupe, a fait, ce jour là le choix d’ignorer cette information malgré son intérêt national.
A force de fréquenter les politiques, les journalistes finissent aussi par être liés à ceux-ci pour former une “famille”. Les journalistes, censés informer juste et vrai, deviennent ce que Serge Halimi appelle « les nouveaux chiens de garde » au service des pouvoirs politique et économique.  
De plus, les médias font les mythes. Ils mettent au devant de la scène des personnes et de façon sournoise rendent sacrées les paroles de ces dernières. Ces nouveaux “experts” tirent profit de leur aura consécutive à une propagande télévisuelle en surfacturant leurs conférences. Ces pseudos experts avec la complicité de certains journalistes, investissent aussi le champ médiatique pour défendre les intérêts néolibéraux. Ils font généralement l’apologie de la pensée unique économique lors de nombreuses émissions dont ils sont les invités exclusifs. Les économistes, qui défendent le néolibéralisme, ont ainsi eu une grande part de responsabilité dans la crise financière mondiale de 2008 résultant de la crise des subprimes aux États-Unis. C’est la fameuse théorie de l’agenda ou agenda-setting développée par Mc Combs et Shaw. Selon celle-ci, les médias attirent l’attention des publics, non seulement sur des personnalités dont ils font des stars, mais aussi sur des évènements sociaux. Ils contribuent à définir le calendrier des évènements et à établir une hiérarchie entre les sujets. Cette fonction de structuration de la vie sociale est d’autant plus manifeste que les téléspectateurs, auditeurs et lecteurs n’ont pas la possibilité de prêter attention à la multitude des messages diffusés.
Étant les propriétaires de bon nombre de groupes de presse, les industriels font montre d’ingéniosité en ayant recours dans bien des cas à la diversion pour sauvegarder leurs avantages. L’affaire d’Outreau (affaire pénale d’abus sexuel sur mineurs en France en 2004) en est un exemple manifeste. Des journaux comme Le Parisien, Le Monde, Libération ou encore Le Figaro, ont, à maintes reprises, consacré leurs Unes à cette affaire au détriment d’un rapport accablant sur la pollution de l’air publié par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).
Dès lors qu’ils acquièrent une certaine renommée, certains journalistes rompent le contrat qui les lie avec le public. A leurs débuts, ils s’érigent en défenseurs des populations lésées dans l’optique de taper dans l’œil de l’État ou de grands entrepreneurs pour un potentiel recrutement. Les journalistes deviennent du coup des globe-trotters.