jeudi 28 mai 2015

La balle ovale gagne du terrain à Yoff

Duel entre deux jeunes de la MDR
« Le rugby est un sport de voyous pratiqué par des gentlemen », selon un vieil adage populaire anglais. Ce sport, brutal en apparence, véhicule des valeurs qui font sa renommée. C’est ce qui explique peut-être l’engouement de nombreux jeunes de Yoff pour cette discipline vulgarisée par la Maison Du Rugby (MDR).


Au détour d’une ruelle de la cité Apecsy écologique, à Yoff, se dresse une maison pas comme les autres. Avec sa façade qui se distingue par les logos de la Fédération Sénégalaise de Rugby (FSR), de la principauté de Monaco et de sponsors comme la Fondation Total Sénégal, la villa E35 ne passe pas inaperçue. C’est dans cette bâtisse, que des jeunes de 7 à 17 ans sont initiés au rugby depuis 2009. Gravats et sable de mer sont entreposés près du portail bleu. Des caisses de carreaux empilées à l’entrée montrent que la maison est en train d’être rénovée. Près des toilettes, est inscrit sur le mur « Gardons toujours nos mains propres ». Un message de sensibilisation dans un contexte d’épidémie à virus Ebola dans certaines contrées de l’Afrique de l’Ouest. Dans une pièce de forme rectangulaire, des posters de joueurs de rugby notamment ceux de l’équipe du Sénégal, constituent le décor.
Un tour au stade municipal de Yoff où se tiennent les séances d’entrainement, montre que le rugby a fini de conquérir le cœur de bon nombre de jeunes. « On a 617 adhérents au 31 décembre 2014 mais il faut reconnaitre que tous les enfants ne viennent pas en même temps. La moyenne de présence effective s’élève à 200 membres », précise Alioune Guèye, le directeur de la MDR. La gratuité et les facilités de l’adhésion (autorisation parentale et acte de naissance uniquement) justifient certainement cette ruée. Doté d’une tribune à capacité réduite, ce stade aux moindres commodités, n’accueille pas uniquement les rugbymen. L’équipe des Juniors de football de la Renaissance Sportive de Yoff s’entraine sur le terrain sablonneux. Au loin, sur le terrain de basket bitumé, de jeunes danseurs de ballet, répètent leurs chorégraphies au rythme des djembé. Il faut contourner la clôture de l’aire de jeu du stade pour accéder au terrain annexe où se tiennent les entrainements des membres de la MDR. Certains se chaussent tandis que d’autres après avoir fait un échauffement de quelques minutes, font leurs étirements. Un jeune garçon frêle, de teint clair, pieds nus, porte le maillot bleu du Paris Saint Germain. Tout comme lui, deux autres rugbymen ne portent pas de chaussures. Pour les autres, l’équipement est complet : bas, baskets, godasses…
Vers 17h, sous le regard vigilant de Jacques Moulangui Bassène, conseiller sportif de la MDR et étudiant en sixième année à l’Institut national de l’éducation populaire et du sport (Inseps), les différentes catégories s’entrainent séparément. Ces jeunes filles et garçons viennent d’horizons et de milieux sociaux divers. Physique, intensité, rapidité et technique sont au rendez-vous. Aucune distinction n’est faite entre les filles et les garçons. Ici, la règle c’est la mixité. « Le fait que les filles et les garçons jouent ensemble sans heurt, montre qu’il y a le respect entre eux. Les bagarres auxquelles on assistait, ne sont plus constatées », soutient Gilles Marchand, le délégué fédéral assis sur un muret. Et le directeur d’ajouter que : « Le rugby a démocratisé le sport à Yoff,  avec la forte présence des filles ». Florian Bechade, vêtu d’un tee-shirt bleu assorti d’un short blanc, est entraineur et responsable en communication. Barbu, cet ancien joueur de rugby semi-amateur est venu spécialement de la France pour affiner la technique des joueurs qui, selon lui, ont déjà la puissance et la vitesse indispensables au rugby. Équipés de sacs de plaquage et de boucliers de percussion, les jeunes ne se font pas de cadeaux tant les duels sont disputés. Les filles sont bien représentées. Elles jouent sans complexe avec les garçons. « Ce sport me plaît beaucoup parce que ça nous apprend des règles de la vie comme la solidarité, le dépassement de soi, la non-violence et le respect entre coéquipiers », dit sans détour Fatou Diène Thiaw, élève en classe de 3e. Amadou Diaw a la rage de vaincre. « Durcis ton jeu », dit-il avec hargne à l’un de ses coéquipiers. Élève en classe de 3e au Collège Aline Sitoé Diatta de Grand-Yoff, il pratique ce sport depuis huit ans. Ce passionné de rugby qui évolue au poste d’ouverture, aimerait bien devenir un professionnel et aller monnayer son talent à l’étranger. « Je rêve de devenir un grand joueur pour évoluer à l’étranger et pouvoir servir Yoff, le club de mes débuts », avoue t-il d’un air très déterminé. La MDR grâce à la qualité de sa formation, est pourvoyeuse de joueurs pour les Panthères de Yoff, le club local.
Dans un contexte caractérisé par la précarité dans de nombreux foyers, la MDR constitue un refuge pour certains adhérents. Fidèle à la vision de la fédération, elle a, parallèlement au sport, jeté son dévolu sur l’éducation des jeunes. Constatant qu’une adhérente a osé porter une culotte très courte pour venir à l’entrainement, le directeur de la structure, d’un ton autoritaire, dit à la fille de rentrer chez elle pour porter une tenue plus adéquate. Elle s’est finalement exécutée. L’attitude du directeur révèle toute l’importance accordée à l’éducation dans un contexte de dégradation des mœurs. « L’objectif de la MDR est de promouvoir l’éducation des enfants de Yoff et de ses environs avec comme toile de fond le rugby.», certifie le conseiller sportif. La Maison Du Rugby, ce n’est pas seulement le jeu. C’est aussi la quête du savoir. « On a trois professeurs (Français, Anglais et Maths) pour le secondaire. Pour l’élémentaire, on ne peut pas accueillir tous les enfants faute de places. Ils font cours trois fois par semaine à raison d’une heure et demi par séance », avance le directeur. De plus, les jeunes de plus de 17 ans non scolarisés, bénéficient d’une formation professionnelle, avec la possibilité d’être embauchés au terme de la formation. « Nous alphabétisons ceux qui n’ont jamais été à l’école et ceux qui ne sont pas scolarisés font des formations professionnelles en restauration, couture, électricité et mécanique. Certains ont déjà leur diplôme et travaillent au Radisson Blu hôtel », se félicite M. Bassène. Pour mener à bien toutes ses activités qui nécessitent des moyens financiers et logistiques, la MDR est appuyée par des partenaires. « Ce sont principalement la principauté de Monaco qui prend en charge 55 % du budget, la Fédération Sénégalaise de Rugby (FSR), l’Association des enfants de l’ovale, les Apprentis d’Auteuil, la Fondation Total Sénégal, Puma énergie et la municipalité de Yoff », atteste le directeur.
Tout est parti d’une idée de Me Guédel Ndiaye, président de la FSR, qui a demandé aux membres de l’instance de trouver un local pour l’implantation d’une maison du rugby. L’appel du fils de Valdiodio Ndiaye, ancien ministre de l’intérieur du Sénégal  n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd puisque quelques jours plus tard, Gilles Marchand, un français arrivé au Sénégal en 2007, a trouvé un édifice à Yoff. « J’avais créé une école de rugby à mon arrivée. En février 2009, Me Guédel a dit à tous les membres de la fédération de rechercher un bâtiment pour ouvrir une maison du rugby. J’avais déjà une douzaine d’enfants qui pratiquaient ce sport. Ça m’a intéressé et je me suis mis à rechercher un local que j’ai trouvé un jour seulement après la sollicitation de Me Guédel », se souvient avec fierté Gilles Marchand. Les efforts de ce dernier ont été récompensés par le président de la fédération qui a décidé de l’installation de la maison du rugby à Yoff.
Avec le nombre important de membres, les locaux de la MDR sont devenus exigus. Raison pour laquelle, le stade de cette commune léboue va accueillir les nouvelles installations. « Les autorités coutumières de Yoff nous ont donné l’autorisation de construire un centre à l’intérieur du stade. Ce projet verra le jour en 2016 et sera financé par la principauté de Monaco à hauteur de cent millions de francs CFA. », se réjouit le directeur. Cet ouvrage va sans nul doute donner une nouvelle dimension à la Maison Du Rugby qui, au fil des années, a fait de ce sport l’une des disciplines collectives les plus pratiquées à Yoff.

mercredi 27 mai 2015

Logement à l’Ucad : une équation à plusieurs inconnus

Porte centrale de l'Ucad


Une fois le baccalauréat en poche, la plupart des étudiants orientée à l’Ucad, est confrontée à un casse-tête : le logement. Au fil des années, le surpeuplement du campus a fini d’atteindre un seuil critique. Reportage.


Construite en 1957, l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar étouffe. Aujourd’hui, elle accueille près de 80 000 étudiants. « Il n’y a que 2560 lits au grand campus », informe Arona Faye, l’adjoint du chef du service de l’hébergement de l’Ucad. L’augmentation exponentielle des effectifs en quelques décennies et le déficit de pavillons font que trouver une chambre à la citadelle du savoir, relève du miracle. Pour être locataire, l’étudiant doit procéder à une codification dont le principal critère est le mérite. Une fois les listes définitives des admis de la dernière session de l’année universitaire établies, les différentes facultés les envoient aux autorités du Centre des Œuvres Universitaires de Dakar (Coud). C’est en ce moment, qu’entrent en jeu, les amicales qui représentent les étudiants. Celles-ci doivent procéder à l’attribution des lits en respectant scrupuleusement l’ordre de mérite.
Pour chaque Faculté, il y a un quota réparti entre les différents départements qui la composent. « C’est pour plus de transparence que le Coud fait les codifications en collaboration avec les représentants des amicales », assure M. Faye. Malgré cela, il n’est pas rare d’entendre des étudiants dire que les lits sont vendus par les agents du Coud et les délégués. « Les amicales sont comme des partis politiques et ceux qui y adhèrent ont certains avantages », dénonce Ameth Diamanka, étudiant en Master 1 au département de Physique. Les autorités universitaires quant à elles, battent en brèche ces déclarations qui, selon elles sont erronées. « Pour ce qui est de la vente de lits, ce sont les étudiants attributaires qui n’en ont pas besoin, qui les vendent ou les louent à l’insu de l’amicale et de l’administration du Coud », rétorque M. Faye. C’est le cas de la chambre 54 J occupée par dix personnes. Étant tous issus de Pout Diack, un village de la région de Thiès,  c’est l’association des élèves et étudiants de ladite localité, qui a loué la chambre moyennant 3000 Francs par lit. « Tous les deux mois, ceux qui ont codifié les lits, viennent récupérer leurs dûs », révèle Assane Seck, étudiant en licence 1 au département de Physique-Chimie. Le peu d’étudiants qui arrive à codifier une chambre, est souvent obligé, par solidarité, d’héberger d’autres camarades. Les chambres initialement prévues pour deux personnes, peuvent en accueillir une dizaine.
        
         Pavillon A, refuge des « sans-abris »
Comme à l’accoutumée, le campus grouille de monde à quelques jours des vacances de Pacques. Devant la façade de cet imposant bâtiment à trois étages, de couleur blanche avec des fenêtres bleues, des hommes sont assis sur des chaises. Dans le hall, les va- et-vient des pensionnaires sont incessants. Un jeune homme se fait raser dans un couloir du premier étage. Au loin, un étudiant muni d’un seau, fait le linge dans les toilettes. A quelques mètres de là, cinq personnes vêtues de boubous, chantent en chœur des « Khassaïdes » (chants religieux mourides) qui résonnent jusqu’au rez-de-chaussée. Ici, tous les moyens sont bons pour sécher les habits. Si certains suspendent leurs linges sur les fenêtres, d’autres optent pour le gazon du jardin se trouvant au milieu du pavillon. Du balcon du premier niveau, la panoplie des couleurs offre un spectacle visuel kaléidoscopique. Premier logement à l’Ucad, ce pavillon à l’architecture coloniale, accueille aujourd’hui des milliers d’étudiants. Doudou Fall, en licence 3, au département d’Anglais est l’un d’entre eux. Âgé de 24 ans, ce Saint-Louisien de taille courte, réside dans la chambre 165 du couloir H où des matelas sont posés à même le sol. Assis sur un des deux lits de sa minuscule chambre, il déplore les difficiles conditions auxquelles ses camarades et lui sont confrontés. « Au total, nous sommes six mais d’autres camarades y déposent leurs bagages et viennent la nuit pour dormir sur le couloir », fustige-t-il. En effet, la nuit, les couloirs du plus ancien des pavillons, sont transformés en dortoir par les étudiants non hébergés par le Coud. Vers 22 heures, les matelas s’étalent à perte de vue. On se croirait dans un camping.
Au 190 I, Badara Guèye et Massar Djité, deux étudiants dont les mères sont des sœurs, sont en activité. Par terre, il y a une valise noire et des paires de chaussures. Des habits ainsi que des serviettes sont suspendus sur les portes délabrées de l’armoire. Badara est étudiant en licence 3 de Sciences de la Vie et de la Terre (SVT). De teint noir, vêtu d’une chemise et d’un jean noirs, il est couché sur son lit, les yeux rivés sur son ordinateur. « Au total, nous sommes huit mais deux d’entre nous ne sont pas encore venus. La chambre n’est qu’un dortoir pour nous. Pour réviser, nous allons dans les amphithéâtres », dit-il. La naïveté est fatale au campus et Massar l’a appris à ses dépens. La fenêtre de la chambre n’étant pas sécurisée, on lui a volé son ordinateur posé sur le lit. « Ici, il y a un manque criant de sécurité. Des vigiles doivent normalement surveiller chaque bâtiment », préconise M. Djité.

« Aline Sitoé Diatta » submergée
La plupart des filles est logée à la cité Aline Sitoé Diatta ex Claudel située à un jet de pierre du grand campus.  Plusieurs hommes sont postés près du portail. Pour pénétrer dans l’enceinte, il faut obligatoirement présenter une pièce d’identité ou une carte d’étudiant valable. La cité des jeunes filles ne désemplit pas en ce jour ouvrable. A l’instar des garçons, elles vivent dans une promiscuité sidérante. « Nous n’avons que quatre résidences (B1, B3, B4 et F), qui ont une capacité de 1037 lits », informe Ndèye Astou Sarr Thiam, superviseur administratif et financier de la cité.
Au 30 I, Ndèye Astou Dièye fait la sieste. Originaire de Guédiawaye, cette nouvelle bachelière a été orientée à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques (FSJP). Le matelas étalé par terre sur lequel, elle est allongée, rend difficile l’accès à la chambre très étroite. Sur le seul lit de la pièce, une autre fille est dans les bras de Morphée. « Nous sommes au nombre de quatre et nous avons des difficultés d’adaptation. Étant donné que n’avons pas assez d’espace, nous révisons à la bibliothèque ou aux salles de travaux dirigés », lâche-t-elle. Étudiante en licence 2 au département de Philosophie, Mame Diarra Lelo, loge au 5 A au même titre que sept autres filles. « Vu que nous ne sommes jamais ici en même temps, il n’y a pratiquement pas de problèmes. Malgré ce nombre pléthorique, nous vivons en parfaite harmonie », se réjouit cette jeune femme au teint noir, de petite taille, originaire de Thiadiaye.
Selon Mme Thiam, les étudiantes sont responsables du surpeuplement de la cité portant le nom de la dame de Kabrousse. « Nous avons effectivement un déficit de lits. L’administration a certes une part de responsabilité quant aux effectifs des chambres, mais ce sont les filles elles-mêmes, du fait de l’hébergement, qui sont responsables de cette situation », a-t-elle martelé. Elle assure que les codifications se déroulent normalement. « C’est tout à fait transparent car elles sont faites sous la supervision des délégués des différentes Facultés », renseigne-t-elle. A la salle de télévision, une trentaine de canapés en bois pouvant accueillir chacun 4 à 5 personnes sont bien rangés. Assises sur ceux-ci, les étudiantes ont entre les mains des documents. C’est le jour de la “codification” de la Faculté des sciences. Sous la supervision d’Abdoulaye Niang, le délégué, trois agents de la cité Aline Sitoé Diatta dont une femme, procèdent aux opérations. « Les lits sont attribués suivant l’ordre de mérite », lance Diogoye Ndour, le surveillant général de la cité. Et pourtant Fatoumata Niass, étudiante en licence 1 de biologie, s’est vu attribuer un lit dans une chambre qui en compte trois. Avec ses excellents résultats, cette Kaolackoise vêtue d’une robe rose assortie au foulard, devait être attributaire dans une chambre à deux lits. Or, du fait de la forte demande, plus il y a de lits, plus il y a de filles dans la pièce. Elle s’en est finalement remise à Mme Thiam pour que cette injustice manifeste soit corrigée.
Pour résorber le déficit consécutif à la démolition de plusieurs pavillons vétustes, il y a de cela un an, l’État du Sénégal a entrepris la construction de nouveaux bâtiments. Sur le site du stade de l’université, trois constructions sortent de terre. Séparées, du terrain de football par des barbelés, elles vont contenir à terme 1044 lits. Ces nouvelles infrastructures ne vont certainement pas permettre de résoudre définitivement la lancinante question du logement à l’Ucad. En attendant, les étudiants devront prendre leur mal en patience.