mardi 31 mars 2015

Docteur Oumar Dioume, chercheur « Il y a un travail psychologique à faire auprès des joueurs pour leur expliquer l’impact que la Can peut avoir dans leur carrière ».



Docteur Oumar Dioume
Docteur Oumar Dioume est un spécialiste en football. Il est l'auteur de deux livres que sont Inventeurs et héros noirs et Lumière noire de l’humanité. Dans cet entretien, il commente la nomination d’Aliou Cissé au poste de sélectionneur du Sénégal, fait un bilan sans complaisance de la participation du Sénégal à la Can 2015 et pointe le doigt sur les freins du football sénégalais.

Alioune Cissé vient d’être nommé sélectionneur de l’équipe nationale de football. Est-ce un choix judicieux ?
Je m’en réjouis. Ce choix est fondé si l’on considère les critères suivants. Le premier, c’est que je crois savoir qu’Aliou Cissé a son diplôme d’entraineur. Le deuxième est qu’il est un meneur d’hommes. Il l’a montré comme capitaine de l’équipe nationale du Sénégal de 2002, comme entraineur adjoint de l’équipe nationale olympique, en 2012 et comme entraineur principal de la sélection A’ avec qui, il a failli battre la Colombie, future quart de finaliste de la coupe du monde 2014. En termes de palmarès, en 2013, lors des jeux de la francophonie organisés par la France, le Sénégal coaché par Aliou Cissé, a terminé troisième, derrière le Congo et le Maroc. Et que je sache, à part les jeux de l’amitié de 1963 que nous avions gagnés et la finale de la Can 2002, cette performance n’a jamais été réalisée par un coach. J’adhère aux propos de l’ancien international français Luis Fernandes, qui dit qu’Aliou Cissé sait tenir un discours mobilisateur, qui est important en football.

Le fait qu’Aliou Cissé n’ait jamais dirigé une sélection A, ne constitue-t-il pas une faiblesse ?
Ce n’est pas une faiblesse, dans la mesure où des entraineurs ayant dirigé des équipes A, n’ont pas réussi avec le Sénégal. Je prends l’exemple d’Henry Kasperzak qui a eu un passé glorieux avec des équipes A. Cela ne l’a pas empêché d’échouer au Sénégal. Il a conduit la Côte d’Ivoire en demi-finale de la Can 1994, la Tunisie en finale en 1996 et le Mali en demi-finale en 2002. Il a, quand même, failli au premier tour de la Can 2008 avec le Sénégal. Claude Leroy a gagné la Can en 1988 avec le Cameroun. A la tête des Lions de la téranga, il a échoué en quart de finale en 1992. La liste est loin d’être exhaustive. Un passé de sélectionneur en équipe nationale A, n’est ni nécessaire, ni suffisante. Florent Ibenge, qui entraine simultanément Vita Club de Kinshasa et l’équipe nationale de la République Démocratique du Congo, n’avait jamais entrainé une équipe A avant cette Can. Malgré tout, il a remporté la troisième place de cette compétition.

Les entraineurs étrangers sont généralement mieux traités que les techniciens locaux. Trouvez-vous cela normal ?
Il n’y a aucune raison d’avoir des discriminations quand des entraineurs ont les mêmes compétences et expériences. Le sélectionneur local, dans bien des cas, s’il a une certaine vision, accepte d’être moins bien payé qu’un technicien étranger. L’expatrié, quand il n’est pas motivé et efficace, est payé même en cas d’échec. Feu Bruno Metsu aimait notre pays et avait manifesté sa volonté d’être enterré au Sénégal. En un moment donné, quand nous cherchions un coach avant la nomination d’Alain Giresse, il trouvait indécent qu’on parle de salaire de dix millions de Francs CFA dans une situation comme celle que vivait le Sénégal. L’étranger fixe ses tarifs en fonction de son expertise, des revenus de ses collègues et de la capacité de négociation des dirigeants. Contrairement au local, le « sorcier blanc » ne se sent généralement pas redevable au pays qui l’emploie.

Quelles sont les conditions sine qua non pour qu’Aliou Cissé réussisse sa mission ?
Que ce soit Aliou Cissé ou un autre, la réussite du football sénégalais dépend de la corrélation entre les infrastructures, un championnat local fort et les petites catégories. Il suffit de regarder le palmarès des équipes qui ont gagné la Can pour s’en convaincre. Le Congo est arrivé en quart de finale de la Can 2015. Ce pays a gagné la Can des Juniors en 2007, les jeux de la francophonie en 2009 et 2013, la Coupe de la Caf en 2012 avec l’Athlétic Club Léopards de Dolisie. Il a été huitième de finaliste de la coupe du monde des juniors en 2007 au Canada. L’ossature du Congo lors de la dernière Can, c’est l’Athlétic Club Léopards de Dolisie. J’ai appris que le président, a investi 380 milliards de Francs CFA dans les infrastructures. Le Gabon dont le football ne cesse d’évoluer, a créé un championnat professionnel il y a de cela quelques années. L’État a injecté 12 milliards de Francs CFA pour que chaque joueur puisse gagner 400 000 Francs par mois. Il y a des joueurs sénégalais qui s’expatrient au Maroc pour 200 000 Francs CFA. Est-ce que le Sénégal n’est pas capable d’investir 12 milliards de Francs CFA par année pour avoir un championnat local de haut niveau ? L’État a dépensé 1 milliard 800 millions rien que pour la Can 2015 alors que l’AS Pikine avait du mal à trouver 25 à 30 millions pour aller jouer ses matches à l’étranger. C’est le même cas pour l’Olympique de Ngor. Des pays comme le Bénin, l’Éthiopie, la Gambie et la Somalie pour ne citer que ceux là, ont connu la gloire en Can des Cadets et celle des Juniors car des investissements ont été faits.

Vous pensez que l’État doit revoir à la hausse le budget alloué au sport ?
Absolument ! Il faut augmenter le budget du sport de manière générale, du football en particulier parce que cette discipline est génératrice d’emplois. Saër Seck, le président de la Ligue de football professionnel a dit que le football professionnel a généré 1500 emplois depuis ses débuts en 2009. Cela n’a fait que confirmer une étude établissant que les 1100 joueurs professionnels de la ligue 1 française, généraient 25 000 emplois. C’est plus que dans l’édition, l’industrie du cinéma et l’industrie de la fabrication des composants solaires. Les collectivités locales doivent aussi s’impliquer dans le financement du football. Il est aussi important qu’elles financent les navétanes qui sont une spécificité du Sénégal. Le sport doit enfin retourner à l’école. Nous avions l’Office du sport scolaire et universitaire et il y avait des compétitions chaque jeudi. Le premier avantage est qu’il n’y avait pas de fraudes possibles sur l’âge car la majorité de ceux qui jouaient dans les championnats des petites catégories, étaient scolarisés. C’est une politique à mener. Il faut se demander aussi pourquoi les fusions de clubs, les formules des clubs d’entreprise, des forces armées, de la douane ont porté leurs fruits dans certains pays alors que tel n’a pas été le cas au Sénégal. Il va falloir se pencher sur cette question.

Le Sénégal a été éliminé, une fois de plus, au premier tour de la Can 2015. Qu’est-ce qui explique cette débâcle ?
Je pense que les choix incompréhensibles du coach l’expliquent. Comment peut-on faire autant de changements lors du deuxième match face à l’Afrique du Sud ? Pourquoi s’est-on mis dans une situation d’aller jouer la qualification face à l’Algérie ? Pourquoi a-t-on changé cinq joueurs dans une équipe qui venait de gagner son dernier match ? L’équipe qui a, de fort belle manière, pris le dessus sur le Ghana aurait dû être reconduite lors du match face aux Bafana-Bafana.

L’élimination du Sénégal a-t-elle été une surprise pour vous ?
Bien sûr ! Cela a été une surprise, dans la mesure où le Sénégal a produit deux matches remarquables devant la Tunisie, à Monastir et l’Égypte, au Caire. Ne gagne pas en Égypte qui veut, même si elle est affaiblie. Tout le monde pensait que le Sénégal avait ses chances, d’autant plus que le premier match face au Ghana a vraiment suscité beaucoup d’espoir. Personne ne pouvait s’attendre aux cinq changements entre le premier et le deuxième match. On ne change pas une équipe qui gagne.

Donc selon vous, le limogeage d’Alain Giresse est justifié.
Le limogeage ou le maintien d’un entraineur dépend des objectifs qui sont fixés dans son contrat. Je n’ai pas lu celui de Giresse mais j’imagine que l’objectif de la fédération, était d’atteindre au moins les quarts de finale de la Can.

Est-ce qu’Alain Giresse a commis des erreurs de casting dans le choix des joueurs devant participer à la Can 2015 ?
Je ne sais pas. Il a eu des problèmes avec Demba Bâ. Mais les bons résultats du Sénégal en éliminatoires, en l’absence de ce joueur, montrent qu’il n’était absolument pas indispensable. Le match contre le Ghana a d’ailleurs confirmé qu’on pouvait faire de bons matches sans lui. Cependant, on peut s’interroger sur le fait que Giresse n’ait jamais donné sa chance à Moussa Konaté, un buteur spontané.

Les joueurs sénégalais étalent toute leur classe dans les championnats européens. Pourquoi ne sont-ils pas performants en équipe nationale ?
Ils jouent dans des systèmes différents. C’est vrai qu’ils sont des professionnels et doivent avoir la capacité de s’adapter à tout système de jeu. Étant habitués à jouer à des postes bien déterminés, dans des systèmes qu’ils maitrisent, s’il y a des chamboulements en équipe nationale, ça peut les perturber. Il faut avouer aussi que cette équipe commençait à avoir des automatismes en jouant plusieurs matches avec une défense à trois ou à quatre. Le Sénégal, avec le Cameroun, a été la meilleure défense durant les éliminatoires de la Can 2015, n’encaissant qu’un but. Preuve que cela a marché. Je crois que ce sont plus les changements soudains intervenus face à l’Afrique du Sud, qui ont tout fait basculer.

N’avez-vous pas senti un manque d’engagement des joueurs ?
Je crois que certains d’entre eux, qui ont choisi de participer à la Can, risquaient de perdre leurs places en club. Un joueur qui viendrait à la Can en manquant d’engagement, ne serait pas intelligent. Ne serait-ce que du point de vue de ses intérêts égoïstes car cette compétition est une vitrine. Les exploits d’un joueur, dans ce tournoi, sont vus par le monde entier, ce qui va améliorer sa cote. Il y a un travail psychologique à faire auprès des joueurs pour leur expliquer l’impact que la Can peut avoir dans leur carrière. Après la Coupe du monde et l’Euro, la Can est la compétition la plus suivie au monde.