Duel entre deux jeunes de la MDR |
« Le rugby est un sport de voyous pratiqué par
des gentlemen », selon un vieil adage populaire anglais. Ce sport,
brutal en apparence, véhicule des valeurs qui font sa renommée. C’est ce qui
explique peut-être l’engouement de nombreux jeunes de Yoff pour cette
discipline vulgarisée par la Maison Du Rugby (MDR).
Au détour
d’une ruelle de la cité Apecsy écologique, à Yoff, se dresse une maison pas
comme les autres. Avec sa façade qui se distingue par les logos de la Fédération Sénégalaise de Rugby
(FSR), de la principauté de Monaco et de sponsors comme la Fondation Total
Sénégal, la villa E35 ne passe pas inaperçue. C’est dans cette bâtisse, que des
jeunes de 7 à 17 ans sont initiés au rugby depuis 2009. Gravats et sable de mer
sont entreposés près du portail bleu. Des caisses de carreaux empilées à
l’entrée montrent que la maison est en train d’être rénovée. Près des
toilettes, est inscrit sur le mur « Gardons
toujours nos mains propres ». Un message de sensibilisation dans un
contexte d’épidémie à virus Ebola dans certaines contrées de l’Afrique de
l’Ouest. Dans une pièce de forme rectangulaire, des posters de joueurs de rugby
notamment ceux de l’équipe du Sénégal, constituent le décor.
Un tour au
stade municipal de Yoff où se tiennent les séances d’entrainement, montre que
le rugby a fini de conquérir le cœur de bon nombre de jeunes. « On a 617 adhérents au 31 décembre 2014 mais
il faut reconnaitre que tous les enfants ne viennent pas en même temps. La
moyenne de présence effective s’élève à 200 membres », précise Alioune
Guèye, le directeur de la MDR. La gratuité et les facilités de l’adhésion
(autorisation parentale et acte de naissance uniquement) justifient
certainement cette ruée. Doté d’une tribune à capacité réduite, ce stade aux
moindres commodités, n’accueille pas uniquement les rugbymen. L’équipe des
Juniors de football de la Renaissance Sportive de Yoff s’entraine sur le
terrain sablonneux. Au loin, sur le terrain de basket bitumé, de jeunes danseurs
de ballet, répètent leurs chorégraphies au rythme des djembé. Il faut
contourner la clôture de l’aire de jeu du stade pour accéder au terrain annexe
où se tiennent les entrainements des membres de la MDR. Certains se chaussent
tandis que d’autres après avoir fait un échauffement de quelques minutes, font
leurs étirements. Un jeune garçon frêle, de teint clair, pieds nus, porte le
maillot bleu du Paris Saint Germain. Tout comme lui, deux autres rugbymen ne
portent pas de chaussures. Pour les autres, l’équipement est complet :
bas, baskets, godasses…
Vers 17h,
sous le regard vigilant de Jacques Moulangui Bassène, conseiller sportif de la
MDR et étudiant en sixième année à l’Institut national de l’éducation populaire
et du sport (Inseps), les différentes catégories s’entrainent séparément. Ces
jeunes filles et garçons viennent d’horizons et de milieux sociaux divers.
Physique, intensité, rapidité et technique sont au rendez-vous. Aucune
distinction n’est faite entre les filles et les garçons. Ici, la règle c’est la
mixité. « Le fait que les filles et les garçons
jouent ensemble sans heurt, montre qu’il y a le respect entre eux. Les bagarres
auxquelles on assistait, ne sont plus constatées », soutient Gilles
Marchand, le délégué fédéral assis sur un muret. Et le directeur d’ajouter que
: « Le rugby a démocratisé le sport à
Yoff, avec la forte présence des filles ». Florian Bechade, vêtu d’un
tee-shirt bleu assorti d’un short blanc, est entraineur et responsable en
communication. Barbu, cet ancien joueur de rugby semi-amateur est venu
spécialement de la France pour affiner la technique des joueurs qui, selon lui,
ont déjà la puissance et la vitesse indispensables au rugby. Équipés de sacs de
plaquage et de boucliers de percussion, les jeunes ne se font pas de cadeaux tant
les duels sont disputés. Les filles sont bien représentées. Elles jouent sans
complexe avec les garçons. « Ce sport me
plaît beaucoup parce que ça nous apprend des règles de la vie comme la
solidarité, le dépassement de soi, la non-violence et le respect entre
coéquipiers », dit sans détour Fatou Diène Thiaw, élève en classe de 3e.
Amadou Diaw a la rage de vaincre. « Durcis
ton jeu », dit-il avec hargne à l’un de ses coéquipiers. Élève en
classe de 3e au Collège Aline Sitoé Diatta de Grand-Yoff, il
pratique ce sport depuis huit ans. Ce passionné de rugby qui évolue au poste
d’ouverture, aimerait bien devenir un professionnel et aller monnayer son
talent à l’étranger. « Je rêve de devenir
un grand joueur pour évoluer à l’étranger et pouvoir servir Yoff, le club de
mes débuts », avoue t-il d’un air très déterminé. La MDR grâce à la qualité
de sa formation, est pourvoyeuse de joueurs pour les Panthères de Yoff, le club
local.
Dans un
contexte caractérisé par la précarité dans de nombreux foyers, la MDR constitue
un refuge pour certains adhérents. Fidèle à la vision de la fédération, elle a,
parallèlement au sport, jeté son dévolu sur l’éducation des jeunes. Constatant
qu’une adhérente a osé porter une culotte très courte pour venir à
l’entrainement, le directeur de la structure, d’un ton autoritaire, dit à la
fille de rentrer chez elle pour porter une tenue plus adéquate. Elle s’est
finalement exécutée. L’attitude du directeur révèle toute l’importance accordée
à l’éducation dans un contexte de dégradation des mœurs. « L’objectif de la MDR est de promouvoir l’éducation des enfants de Yoff
et de ses environs avec comme toile de fond le rugby.», certifie le
conseiller sportif. La Maison Du Rugby,
ce n’est pas seulement le jeu. C’est aussi la quête du savoir. « On a trois professeurs (Français, Anglais et
Maths) pour le secondaire. Pour l’élémentaire, on ne peut pas accueillir tous
les enfants faute de places. Ils font cours trois fois par semaine à raison
d’une heure et demi par séance », avance le directeur. De plus, les jeunes
de plus de 17 ans non scolarisés, bénéficient d’une formation professionnelle,
avec la possibilité d’être embauchés au terme de la formation. « Nous alphabétisons ceux qui n’ont jamais été
à l’école et ceux qui ne sont pas scolarisés font des formations
professionnelles en restauration, couture, électricité et mécanique. Certains
ont déjà leur diplôme et travaillent au Radisson Blu hôtel », se félicite
M. Bassène. Pour mener à bien toutes ses activités qui nécessitent des moyens
financiers et logistiques, la MDR est appuyée par des partenaires. « Ce sont principalement la principauté de
Monaco qui prend en charge 55 % du budget, la Fédération Sénégalaise de
Rugby (FSR), l’Association des
enfants de l’ovale, les Apprentis d’Auteuil, la Fondation Total Sénégal, Puma
énergie et la municipalité de Yoff », atteste le directeur.
Tout est parti
d’une idée de Me Guédel Ndiaye, président de la FSR, qui a demandé aux membres
de l’instance de trouver un local pour l’implantation d’une maison du rugby.
L’appel du fils de Valdiodio Ndiaye, ancien ministre de l’intérieur du
Sénégal n’est pas tombé dans l’oreille
d’un sourd puisque quelques jours plus tard, Gilles Marchand, un français
arrivé au Sénégal en 2007, a trouvé un édifice à Yoff. « J’avais créé une école de rugby à mon arrivée. En février 2009, Me
Guédel a dit à tous les membres de la fédération de rechercher un bâtiment pour
ouvrir une maison du rugby. J’avais déjà une douzaine d’enfants qui
pratiquaient ce sport. Ça m’a intéressé et je me suis mis à rechercher un local
que j’ai trouvé un jour seulement après la sollicitation de Me Guédel », se
souvient avec fierté Gilles Marchand. Les efforts de ce dernier ont été
récompensés par le président de la fédération qui a décidé de l’installation de
la maison du rugby à Yoff.
Avec le
nombre important de membres, les locaux de la MDR sont devenus exigus. Raison
pour laquelle, le stade de cette commune léboue va accueillir les nouvelles
installations. « Les autorités
coutumières de Yoff nous ont donné l’autorisation de construire un centre à
l’intérieur du stade. Ce projet verra le jour en 2016 et sera financé par la
principauté de Monaco à hauteur de cent millions de francs CFA. », se
réjouit le directeur. Cet ouvrage va sans nul doute donner une nouvelle
dimension à la Maison Du Rugby
qui, au fil des années, a fait de ce sport l’une des disciplines collectives
les plus pratiquées à Yoff.