Université Gaston Berger |
A
l’instar de la quasi-totalité des universités publiques sénégalaises,
l’Université Gaston Berger (UGB) de Saint-Louis sombre dans le chaos.
Le
non paiement des bourses des étudiants du Master et la non-effectivité du
changement de taux de la bourse des étudiants de la deuxième année ont été les
gouttes de trop qui ont fait déborder le vase.
A
cœur ouvert avec Seynabou Ngoma Seck, étudiante en Master 1 en Langues Étrangères Appliquées (LEA) pour connaitre les maux qui rongent cette
université qui, jadis symbolisait l’excellence.
Pourquoi
les étudiants de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis ont-ils décidé de
quitter le campus social ?
On a décidé de déserter le campus
parce qu’il y va de notre sécurité. Nous
n’allons pas rester au campus, être en mouvement et qu’on ne nous donne pas les
moyens de le mener à bien.
Les restaurants universitaires
ont été fermés le lundi. Pour le déjeuner, les étudiants ont défoncé les portes
des restaurants pour se servir. Le ministre de l’Enseignement Supérieur ou peut
être bien le directeur du Crous (Centre des Œuvres Universitaires de
Saint-Louis) a interdit aux étudiants d’utiliser les « Journées Sans Tickets » pour faire la grève parce
qu’on utilisait en général ce moyen pour mettre la pression sur les autorités
pour qu’elles réagissent face à nos revendications.
Cette année, le ministre de
l’Enseignement Supérieur Mary Teuw Niane
nous a interdit de faire cela donc à
chaque fois qu’il y a JST, les étudiants sont obligés de se battre pour entrer
dans les restaurants. C’est ce qu’ils ont fait ce lundi au déjeuner et à notre
grande surprise, le ministre nous a menacés en disant que les policiers
allaient intervenir si les portes des restaurants étaient défoncés pour le dîner.
Qu’avez-vous
décidé de faire après la fermeture des restaurants ?
On a tenu une Assemblée Générale
d’urgence le même jour à 19H pour faire le point sur la situation parce que les
délégués des étudiants ne pouvaient pas prendre la responsabilité de garantir
la sécurité de plus de mille personnes. Certains ont commencé à rentrer chez
eux, la grève commençait à durer. Ils nous ont expliqué ce qui se passait et
nous ont dit que si on utilisait la violence pour accéder aux restaurants à
l’heure du dîner, ce serait la catastrophe comme ce qui s’est passé à
l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar aujourd’hui (affrontements entre
étudiants et forces de l’ordre les mercredi 21 et jeudi 22 mai). Pour éviter
cela, ils nous ont exhortés à ranger nos affaires et à rentrer chez nous parce
que nous sommes là pour étudier et avoir des diplômes donc nous n’allons pas
nous battre et nous blesser. C’est pourquoi nous avons soigneusement rangé nos
affaires. Nous sommes rentrés dans la nuit du lundi au mardi.
Qu’est
ce qui est à l’origine de votre mouvement d’humeur ?
Il a débuté il y a quelques
semaines et a été suspendu par la suite. Les raisons principales sont le retard
du paiement des bourses des étudiants du Master et la non effectivité du
changement de taux de la bourse des étudiants de la deuxième année. Tout le
monde sait que lorsque tu es en première année et que tu as une demi-bourse, si
tu fais les efforts nécessaires pour passer en deuxième année, tu auras une
bourse entière.
Mais cette année à notre grande
surprise, le ministre a refusé aux étudiants de la deuxième année le droit
d’avoir une bourse entière.
Le mouvement avait été suspendu
mais les étudiants de la deuxième année n’ont pas accepté cette décision donc
ils sont allés au front eux-mêmes sans l’avis des délégués.
C’est après ce front que le
mouvement a repris jusque là. Cette fois, ils se sont dit que ce n’est pas
intéressant de mener un mouvement et de reculer par la suite. Il faut mener le
mouvement jusqu’au bout ou ne pas le mener du tout. C’est dans cette lancée
qu’on est en train de mener le mouvement. Personnellement, je ne suis pas pour
la grève mais là actuellement, il faut que ça se passe. Il faut qu’on mène le
mouvement jusqu’au bout. S’il faut une année invalide pour régler le problème,
il faut qu’on le fasse parce que jusque là nous n’avons pas fait nos
examens du premier semestre. On a débuté
les cours au mois de février donc on a presque rien appris. Ce n’est pas
intéressant d’essayer de sauver une année qui ne nous servira à rien puisque
qu’on aura des diplômes sans avoir la connaissance équivalente.
Quels
sont les problèmes auxquels vous faites face à l’UGB ?
Le principal problème, c’est
l’hébergement. Je suis à l’UGB depuis 3 ans, c’est-à-dire depuis 2011. Pour
notre première année, ce n’était pas trop grave, on était quatre dans la
chambre. Normalement, on nous dit que les chambres sont séparées en poche pour
2 personnes au maximum. Quand il y a eu les problèmes d’hébergement, 3 voire 4
personnes étaient dans une seule chambre. Depuis l’année dernière, il y avait 6
personnes dans une chambre parce qu’on est obligé d’héberger 2 personnes à la
fois. Il y a des personnes qui viennent et qui sont soit tes sœurs, tes
cousines ou même des personnes que tu ne connaissais pas.
Depuis l’année dernière,
j’héberge deux personnes que je ne connaissais pas et cette année, j’ai une
petite sœur qui est venue à l’université et je ne peux pas la laisser dormir
ailleurs donc on est obligé d’héberger comme on l'a été nous aussi. Il faut
qu’on rende la monnaie de la pièce.
Il y a des problèmes avec les
professeurs. L’UGB est en crise parce qu’avec le Contrat De Performance (CDP) conclu entre le
Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et les universités
publiques sénégalaises, on s’attendait à une amélioration de l’enseignement
mais ce n’est pas le cas. Par exemple, il y a eu un mouvement des étudiants de
l’Unité de Formation et de Recherche (UFR) des Sciences Appliquées et
Technologies du fait que les étudiants de la première année n’avaient pas
jusque là commencé leurs séances de Travaux Dirigés (TD). Comment pouvez-vous
imaginer une UFR où on apprend les sciences appliquées et qu’on n’applique pas
? On nous dit que les professeurs, les chefs de section, de département avaient
des problèmes avec le ministre de tutelle. Si ces problèmes existent réellement, c’est
entre eux, ils n’ont qu’à les régler.
Par rapport à l’orientation de
nouveaux bacheliers cette année, ils sont déjà là donc ils n’avaient qu’à créer les conditions
nécessaires pour qu’ils puissent étudier normalement. J’ai deux petits frères
là bas, ça ne me plait pas qu’ils quittent leurs maisons et qu’ils ne puissent
pas travailler normalement. Ils sont en train de se débrouiller avec leurs
aînés qui essayent tant bien que mal de
leur expliquer les cours mais cela ne suffit pas. Quand on apprend les
mathématiques, les sciences physiques, il faut faire des TD obligatoirement.
Comment ceux qui apprennent l’informatique peuvent avoir un bon niveau sans la
pratique ?
En résumé, le social, la
pédagogie, tout est en crise et ce n’est pas seulement à l’UGB. C’est aussi le cas à
l’Ucad, à l’université Assane Seck de Ziguinchor. On s’informe et il y a
partout des fronts, la grève, c'est donc déplorable.
Qu’en
est-il des étudiants qui n’ont pas pu trouver de logement ?
Ces derniers sont obligés de
faire la navette en attendant de trouver quelqu’un qui pourrait les héberger.
Ils font la navette de la ville au campus et ce, tous les jours. Il y a avait
une qui venait passer la journée dans notre chambre parce qu’on ne pouvait pas
l’héberger car on était déjà 6 personnes dans la chambre et c’était excessif.
Les petits lits pour une seule personne étaient partagés par deux personnes.
Elle a passé presque un mois à faire la navette, c’est déjà beaucoup de
dépenses, tu es fatigué, tu parcours 14 km pour aller étudier en taxi de
surcroit. Donc tu dépenses beaucoup en argent et en énergie. Dans ces
conditions, quand tu arrives chez toi, je doute que tu aies la force nécessaire
pour réviser tes cours. Après, on a fini par lui trouver une salle d’étude,
elles étaient plus d’une dizaine là bas.
Dans ces salles, il n’y a pas de salle de bain. De ce fait, elles sont obligées
d’aller dans les toilettes publiques. Tous ces problèmes font que
psychologiquement, si tu n’es pas très fort, tu risques de ne pas pouvoir
rester. J’ai vu des étudiants qui n’ont pas passé deux semaines à l’université.
Ils sont rentrés en disant qu’ils ne
pouvaient plus supporter la situation. Ils obligent ainsi leurs parents à payer
ou bien ils font autre chose parce qu’il y a des conditions dans lesquelles, on
ne peut pas étudier normalement. Si on n’a pas la chance d’avoir un logement
très tôt, c’est très difficile.
Qu’est
ce qu’ont fait les autorités de l’université pour venir en aide à ces étudiants
?
Il y a un village N qui était en
construction depuis longtemps. Les bâtiments du village ont été réceptionnés
cette année mais ils ne suffisent pas. Ils ont ouvert les salles d’étude qui
étaient déjà occupées. On voyait 4 à 5 personnes au maximum dans les salles d’étude mais cette année on
peut voir 10 personnes dans une salle d’étude
parce qu’il n’y a pas de logement en fait. Ils disent qu’ils vont en
construire d’autres mais les constructions du village N ont commencé il y a 3
ans pour régler les problèmes de logement qu’il y avait à cette époque mais
actuellement le problème de logement s’est décuplé par je ne sais combien donc
il faudrait au moins 2 à 3 villages pour régler carrément le problème. Avant
que les 3 000 nouveaux bacheliers ne viennent, on s’amusait à dire qu’on leur
trouverait des tentes.
Concrètement
quelles sont les conséquences de ce surpeuplement ?
C’est très difficile de vivre
avec 6 personnes. Déjà, chaque personne a son caractère et dans un espace très
restreint, on entasse 6 personnes. Il y a une salle de bain, de ce fait si tout
le monde a cours à 8H, c’est la catastrophe. Vous êtes obligés de vous
réveiller à 5H. Des fois, quand j’ai un examen ou un devoir, je me douchais
avant de me coucher. De ce fait, quand je me réveille, je me prépare rapidement
et j’y vais comme ça une fois rentrée, je prends mon bain.
Ce surpeuplement diminue en fait
les bonnes conditions et quand les gens sont dans une situation précaire, on
n’étudie pas comme il le faut. Dans la chambre, c’est impossible de travailler.
Quand je veux travailler, je prends mes affaires et je vais dans les Unités de
Formation et de Recherche (UFR) même la nuit.
Maintenant, il est même
impossible de travailler dans les UFR. Elles sont prises d’assaut par les
étudiants. Il y a plus de 20 personnes dans les salles du fait qu’elles
n’appartiennent à personne et quand certains se mettent à faire du bruit, on ne
peut rien y faire. Donc les conditions deviennent difficiles pour étudier.
Il y a aussi le problème de la
restauration. Comparée à l’Ucad, on disait qu’à l’UGB, on mangeait bien mais
quand il y a surplus, les restaurants ne peuvent pas accueillir tout ce monde.
Tu peux avoir cours à 15H, tu es
obligé de faire un rang pendant 15 mn pour aller déjeuner. Pour trouver une
solution, j’allais prendre mon petit-déjeuner à 7H, le déjeuner à 11H30 et le
dîner à 19H. Même si ces heures ne m’arrangeaient pas, j’étais obligée de le
faire sinon tu rates tes cours, sinon t’es en retard et ce n’est pas bien parce
que les profs vont te créer des problèmes. Ils vont te dire que t’avais qu’à te
débrouiller pour venir à l’heure. Tu viens dans les restaurants, il n’y a pas
de places, de tables, tu es obligé d’attendre. En fait, des structures
d’accompagnement n’ont pas été mises en place pour gérer l’accroissement des
effectifs, c’est ça le principal problème.
Qu’est
ce que ça vous fait d’être confrontée à une telle situation ?
Pour moi, ce n’est pas très grave
parce que j’ai déjà fait 3 ans là bas. Mes deux premières années ont été plus
ou moins normales. J’ai de la peine surtout pour ceux qui viennent d’arriver et
ceux qui sont en Terminale et qui espèrent aller à l’UGB. Certains de mes
camarades de classe et moi, avons déjà la licence, donc on a moins de problèmes
bien vrai qu’on en a toujours.
Là actuellement on est en grève,
on essaye de trouver des stages jusque là on n’a rien, un boulot n’en parlons
même pas mais au moins on a passé quelques années là bas avant que la situation
ne se détériore. Je me rappelle que les anciens nous disaient tout le temps que
nous sommes arrivés au mauvais moment parce que c’est en 2011 que l’UGB est
vraiment entrée en crise avec la session unique. Cette année, on parlait de
session unique à un moment mais je ne crois même pas qu’il y ait session
unique, peut être que l’année sera invalide. Je ne vois pas comment on peut
faire pour la sauver parce qu’avant que cette crise ne reprenne, on nous disait
que les examens du second semestre se feraient au mois d’octobre. A supposer
que les cours du second semestre soient faits parce que jusqu’au mois de juin,
si on ne fait pas les examens du premier semestre, quand est ce qu’on va les
faire et quand est ce qu’on va faire les cours du second semestre pour faire
des examens. Il vaut mieux que l’année soit invalide malheureusement et qu’on
règle tous les problèmes de l’université pour que l’année prochaine on démarre
en octobre pour finir en juillet, que les années académiques redeviennent
normales. Franchement c’est ce que je préfère bien vrai que ça ne soit pas bon pour
nous, ni pour ceux qui sont en position de cartouche. Il y aura toujours des
conséquences néfastes mais ce sera pire si on essaye de sauver cette année.
Je suis assez déçue par rapport à
notre ministre de tutelle en l’occurrence Mary Teuw Niane parce qu’il a été
Recteur à l’UGB, il a longtemps défendu cette université donc je ne comprends
pas ce changement d’attitude qu’il a envers l’université et l’éducation. Tout
le corps éducatif s’attendait à ce qu’il améliore les conditions d’étude.
A
ce rythme, quelles pourraient être les conséquences pour le Sénégal d’ici
quelques années ?
Un pays d’illettrés, un pays
d’autorités qui ne savent rien malheureusement parce que ce n’est pas
intéressant d’avoir un Master et de ne rien savoir. Il ne suffit pas d’avoir des
connaissances sur une filière donnée mais il faut un savoir-vivre et un
savoir-être. Quand tu entends des autorités parler, tu te demandes où est ce
qu’il a étudié car tu cherches à savoir comment c’est possible qu’une
personne ait ces idées et qu’elle veuille diriger. Certaines personnes votent
pour ces dernières parce qu’étant toutes ignorantes. A ce rythme, on va cultiver
l’ignorance, la médiocrité. Dans ces conditions, le Sénégal ne va jamais
émerger. On dit Nouveau Type de Sénégalais (NTS) en oubliant que ça commence
par l’éducation. On ne peut pas faire émerger un pays sans l’éducation. Tout le
monde le dit mais on ne fait rien pour que l’éducation marche.
félicitation à notre cher journaliste et notre chère interviewée Ngoma. Dites moi une seule université où tout se passe bien? le problème des universités prend de plus en plus de l'ampleur. si ce n'est pas le problème des bourses, c'est l'orientation des nouveaux bacheliers et plus le problème du master pour tous.
RépondreSupprimerMerci Oulimata Guèye, c'est gentil de ta part. Tout ce que tu as dit est vrai, raison pour laquelle, les autorités doivent redoubler d'efforts et prendre leur responsabilité pour régler une bonne fois pour toute le problème des universités sénégalaises.
Supprimersuis fier de toi le frère!! Bonne continuation
RépondreSupprimerMerci Alioune Diène, c'est tigen de ta part. Nio far bégué !!!
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